La désertification et la dévitalisation des centres-villes de province semblent inévitables. Ce sont désormais les banques qui « quittent le navire », et sans elles, le dernier semblant d’activité économique ne devrait pas résister longtemps.
Phénomène accentué par la pandémie
Boutiques fermées, rues désertes, locaux à vendre… La désertification des centres-villes n’est pas un phénomène nouveau, mais il touche désormais des villes de taille moyenne comme Agen ou Béziers. Sous les coups de boutoir des centres commerciaux implantés en périphérie depuis les années 70-80 et le e-commerce depuis le tournant du siècle, les centres-villes de province ont progressivement été déclassés dans la « France périphérique ». Et la pandémie n’a pas arrangé les choses.
Les petits commerces, dont la rentabilité était déjà limitée, ont subi de plein fouet les confinements à répétition. Peu d’entre eux sont restés ouverts, mis à part les commerces alimentaires qui ont vu leurs chiffres d’affaires augmenter en moyenne de 8 %. Exit donc les magasins de vêtements et de chaussures, les fleuristes, les parfumeurs ou les petites drogueries qui contribuaient à la vie communale. Place aux supérettes et surtout à Amazon, grand gagnant de la pandémie.
Le e-commerce se porte en effet extrêmement bien depuis les premiers confinements, au détriment des commerces de proximité. D’après la Fédération du e-commerce et de la vente à distance, les ventes en ligne ont ainsi progressé de 8,5 % en 2020 et au troisième trimestre 2021, « les ventes sur Internet enregistrent une hausse de 15 % alors que le e-commerce s’apprête à franchir le cap des 130 milliards à la fin de l’année ».
Les banques surfent sur la tendance
La disparition des agences bancaires est le dernier symptôme de la dévitalisation des centres-villes. Si la France reste la mieux lotie du continent européen, entre 2016 et 2020, elle a tout de même vu son nombre d’agences bancaires diminuer de 13,4 %. Et selon une étude Sia Partners de novembre 2021, l’Hexagone devrait encore perdre 15 % de ses agences bancaires d’ici 2024. La généralisation des fermetures n’incite pas à l’optimisme pour les centres-villes des petites et moyennes communes.
D’autant que la pandémie a accéléré la digitalisation du métier de la banque traditionnelle. Ainsi, malgré leur statut de « commerces de première nécessité » qui a permis aux banques de rester ouvertes pendant les confinements, une étude du cabinet Deloitte dévoile qu’en 2021, 42 % des clients utilisaient l’application mobile de leur banque, contre 34 % en 2019. Sur la même période, la visite en agence serait, quant à elle, en baisse de 12 points.
Des chiffres qui ne retranscrivent pas le danger pour les territoires ruraux. En effet, les populations de ces zones n’ont pas grand-chose à voir avec celles des métropoles : ainsi selon l’INSEE, 17 % de la population française souffrirait d’illectronisme, c’est-à-dire d’importantes difficultés à se servir d’outils numériques, en particulier dans les territoires ruraux. Ces derniers sont donc plus dépendants de la présence d’agences bancaires que leurs comparses des grandes villes.
Des agences qui ferment bien souvent pour des raisons économiques, en dépit du fait que l’État ait reconnu leur importance d’intérêt général, et que les banques françaises soient en bonne santé : par exemple, la future fermeture de l’agence d’Arkéa située à Moncontour-Quessoy, située dans le département des Côtes-d’Armor en Bretagne, s’explique avant tout par le fait qu’elle n’est pas assez rentable au goût du groupe. Et non pas pour lui permettre de survivre : ce dernier a en effet enregistré des résultats record au premier semestre 2021. La nomination de Julien Carmona, en juin dernier, était pourtant supposée permettre au groupe de se recentrer sur ses valeurs et sa région : beaucoup espéraient également que le changement de direction mette fin à la politique de fermeture d’agences, en vain. Chez Société Générale — qui a fusionné son réseau avec celui de Crédit du nord en octobre 2021 — l’objectif était assumé : économiser 450 millions d’euros par an à partir de 2025.
La présence d’agences bancaires sur un territoire est pourtant indispensable, la Banque centrale européenne affirme ainsi que les espèces : « assurent l’inclusion sociale ».
Menace sur les territoires
Avec 600 000 Français qui résident à plus d’un quart d’heure de trajet d’un distributeur automatique de billets (DAB), les grands perdants de ce mouvement de fermeture d’agences sont les habitants des petites villes rurales, moins connectées et pas assez rentables pour certains réseaux bancaires. La Banque de France se voulait pourtant rassurante en juillet : « La légère réduction du nombre de distributeurs opérée par les banques relève d’une rationalisation du parc d’automates et n’est pas de nature à altérer l’accès aux espèces pour la population ».
Un constat bien loin de certaines réalités du terrain : nombre de petites communes ont ainsi décidé de mettre en place leur propre DAB pour faire face à la désertification. À Aigre, en Charente, les habitants jugent cela « indispensable » : « Ça va redynamiser la ville, qui a besoin de vivre, d’avoir des commerces, donc il faut des espèces ! ». En effet, dans les petits commerces, la pratique du paiement par carte bancaire n’est pas autant répandue qu’en ville, encore moins celle du paiement sans contact ou par mobile.
La raison est d’ordre économique. Le sénateur Loïc Hervé dénonçait, en 2020, le piège pour les territoires ruraux : « sur chaque transaction (sans contact, NDLR), le commerçant est assujetti à une commission systématique de 2,50 % en moyenne ainsi qu’à une taxe fixe suivant le nombre de petites commissions pratiquées dans le mois ». Les petits commerçants sont donc condamnés à devoir privilégier l’espèce pour maintenir un semblant de rentabilité. Mais sans distributeur à proximité…